MICK RENAUD, artiste peintre :

 

« Je continue à peindre, à écrire et à respirer en attendant le point final. »

 

 

 

 

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Berthenonville, le 30 janvier 2001

LETTRE A NOUS

 

Tonton Roger vient de mourir. Je te le dis tout de go, parce que tu es trop jeune sur cette photo pour le savoir. Je me souviens que tu l’aimais bien. Avec un début d’humour tu disais toujours, je n’ai pas l’esprit de famille mais : « j’aime bien mon oncle ».

 

C’est en farfouillant dans ses papiers que j’ai redécouvert toi ; « Moi » enfant. Et depuis, j’ai bien du mal à détacher mon regard de toi. Mon Dieu comme aurait dit maman, quelle tristesse avec ta blouse grise d’écolier, ta raie à gauche et ta paire de lunettes à trois francs, dix sous.

 

Cela me paraît sur l’heure invraisemblable d’avoir l’air déjà aussi triste et même à vrai dire, l’air aussi con ! Comme peuvent l’être les chiens battus ou les futurs vaincus ! Je te dois la vérité de t’avouer qu’à la vue de cette photo de nous, je me suis pris une profonde envie de pleurer. A me revoir ainsi en noir et blanc avec cette impression forte que notre vie était là inscrite avec rien à ni pouvoir changer.

 

Tu me donnes l’impression d’être sur le quai d’une gare de province en partance pour un long voyage sans destination précise et que malgré tout au bout de ce voyage tout restait accessible.

 

Bien sûr je suis en mesure de te dire ce soir ce que fut ce voyage, puisqu’il est sur l’heure pratiquement terminé.

 

Mais parlons plutôt de tes préoccupations actuelles. Oui ! Je te le promets, tu l’auras, pleure pas ton certificat d’études primaires (avec indulgence du jury). Mais enfin, tu l’auras et même plus tard tu en auras d’autres.

 

Sur cette photo tu as tellement l’air de me demander avec angoisse ce que nous allons bien faire ensemble et bien « tout et pas grand-chose » peut-être seulement vivre !

 

Ce qui me donne envie de te demander pardon, car beaucoup de tes rêves resteront à jamais prisonniers dans de sombres tiroirs. Il te reste dix ans bonhomme à avoir une mère. Elle va nous quitter soudainement (crise cardiaque dira seulement le docteur).

Et c’est toi, bonhomme, du haut de tes dix ans, penché sur elle, qui l’habillera sur son lit de mort et le père étant en mer, organisera la fête de l’enterrement. Nous serons peut-être, à jamais marqués, mais il nous faut vivre alors nous allons vivre, ça je te le promets.

 

Je ne vais pas passer cette soirée avec toi et te parler de tous ceux qui sont morts : ils sont, qu’en j’y pense, aussi nombreux que ceux qui partent chaque année pisser dans la mer au mois d’août à Deauville.

 

Malgré ta vue basse et ton air malingre, le service militaire obligatoire t’attend et il nous attend en Afrique noire. Tu nous imagines parachutistes à Dakar, nous deux petits trouillards. Et bien tu le seras.

 

Et même nous en reviendrons pour exercer (il faut bien vivre) mille petits métiers engendrant mille petites misères. L’heure de la vie de Bohème venait à notre porte de sonner. Y a t-il de petits métiers ? Oui ! Certainement ! Les métiers sont comme les femmes, rares sont ceux que l’on a envie de pratiquer, toute une vie durant.

 

Ah ! Les femmes ? Là je te sens curieux de savoir : mais oui rasure-toi petit branleur un certain nombre d’entre-elles traverseront ta vie. Combien ? Ecoute, je ne peux hélas te le dire, cette lettre en principe reste confidentielle, mais s’il ta plaît pardonne moi de rester discret et je te les laisse à découvrir, moi ce soir je n’ai nulle envie de faire revivre les ombres.

 

Et après la bohème, tu as eu comme une envie de rentrer dans le moule. Alors sur un coup de tête à queue, à la mairie du quartier, tu as convolé.

 

Et nous nous sommes rapidement retrouvés père de quatre enfants et ce soir je t’annonce que tu es grand-père de dix petits-enfants, qui te donnent : selon du pépère, du pépé ou du papy et, peut-être le dos tourné du vieux con.

 

Et cela a forcément, un jour débouché sur un douloureux divorce. Les divorces à mon avis sont aussi difficiles à résoudre qu’à l’école primaire, souviens-toi, c’étaient les divisions à trois chiffres.

 

Avant de te faire d’autres confidences, sache que nous sommes en l’an de grâce 2001. L’an deux mille, je crois me souvenir que tu y pensais souvent le soir, couché en chien de fusil dans ton lit mais, cela te paraissait tellement loin, et cela l’était.

 

Comment est-ce ? Et bien il pleut. Tu vois tout n’a pas totalement changé, sache que les rêves les plus fous de Jules Verne, que tu aimes tant lire, sont presque tous réalisés et même plus.

 

Dans la rue, les gens se promènent au milieu de milliers d’automobiles (tu en possèdes une) avec un téléphone dit : portable plaqué sur l’oreille, parfois ils s’emplafonnent joyeusement la tronche dans un poteau, mais ils ont l’air heureux, ils communiquent.

 

Il faut que tu saches, que l’an deux mille, est à la communication à outrance. Sauf déranger le voisin de palier qui a horreur que l’on sonne à sa porte surtout, s’il est là.

 

Peut-être téléphone t-il, à moins qu’il ne tripote son ordinateur en attendant que la souoe soit chaude, à mon avis il doit être planté devant sa télévision.

La télévision, c’est l’ancienne T.S.F. de maman, avec à la place du haut-parleur un écran, où tu peux voir en couleur, le héros tuer le méchant comme dans ton cinéma de quartier.

 

Oui ! C’est fini les soirées d’été en groupes assis devant la porte des voisins, à refaire le monde et, où les vieux racontaient leur vie et cent fois leur guerre.

 

Que dire d’autre ! Dieu n’existe toujours pas de façon formelle, mais il empoisonne toujours le monde et les hommes s’égorgent chaque jour joyeusement en son nom.

 

Je crois me souvenir qu’à l’école tu n’aimais pas beaucoup les cours de géographie, surtout ceux qui traitaient des colonies françaises. Tu étais contre, ainsi que le problème sur la peine de mort qui t’a valu une paire de gifles de papa en pleine poire devant tout le monde.

 

Je suis heureux de te dire que tu devais avoir raison, les colonies n’existent plus, enfin disons, presque plus. Ne pavoise pas trop vite.

 

La planète terre est encore et certainement pour longtemps divisée en deux. Il y a ceux qui ont le ventre gros d’être trop bien nourris et ceux qui ont le ventre gonflés parce qu’ils crèvent de faim.

 

En l’an de grâce 2000 on ne vend plus les nègres, on les achète pour jouer au football et fort cher.

 

Chez toi la peine de mort est enfin abolie mais elle reste monnaie courante dans bien des pays. Tu peux revenir bonhomme, il reste de l’ouvrage.

 

Mais au fait, à te regarder : à part surveiller ta mouche qui vole rejoindre le papillon, qu’aimais-tu à l’école ?

 

Rêver ! Merci je voulais te l’entendre dire, mais vois-tu bonhomme, rêver hélas n’empêche pas de vieillir.

 

Et ce soir, toi et moi, nous allons sur nos soixante dix ans. Tu vois pas si mal, toi qui avais tellement peur de mourir, j’ai fait de toi à force de te protéger, tant bien que mal un vieux monsieur « au demeurant respectable » et qui n’a même plus peur de la mort, qui a seulement peur de mourir, ce qui est, tu le verras une autre affaire.

 

Il se fait tard, tu veux peut-être que je te parle maintenant de ce qu’il te reste à vivre.

 

Tu as depuis bien longtemps, dans ta vie, une nouvelle compagne, un grand amour « Giséla », une femme d’origine allemande. Oui ! Cela va te paraître insupportable, une femme issue d’un peuple qui va tellement te faire peur. Ecoute-moi, c’est aussi cela les horreurs et les erreurs de la guerre.

 

Elle a, et c’est parfois chiant, autant de qualités que les mille-pattes ont de pantoufles.

 

Et grâce à toutes ces qualités germaniques, nous avons une petite maison bien à nous, qui je pense, devrait te plaire.

 

Je crois qu’elle t’aime beaucoup « elle aime tous les enfants et elle nous protège ». Elle dit souvent comme maman « mange doucement » et elle a raison, parce que c’est hélas vrai, tu manges  toujours aussi vite.

 

A te regarder encore une fois, avant de te cacher dans le fond d’un tiroir, j’ai envie de te demander : t’es où ?

 

Tu es là puisque tu es moi. Et pourtant l’un de nous deux, doit être mort et cela ne peut-être moi, puisque ma mort me reste à vivre.

 

Les photos de moi ne te ressemblent plus et la photo de toi, me ressemble encore un peu, s’il te plaît explique-moi ?

 

Toi, tu dois savoir puisque cela va faire bientôt soixante ans que tu es mort.

 

Je te quitte.

Perdu de corps peut-être.

Mais peut-être pas perdu d’âme.

 

J’aimerais tellement pouvoir t’embrasser.