MICK RENAUD, artiste peintre :
« Je continue à peindre, à écrire et à respirer en
attendant le point final. »
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Depuis
plusieurs jours, cela lui trottait dans la tête. Cela lui
donnait l’impression de lui vider le corps. Depuis
plusieurs nuits cela lui tourmentait l’esprit et l’empêchait de trouver le sommeil.
Déjà certainement depuis longtemps, tel un cancer naissant, cela lui cachait
son soleil intérieur. Un manque
profond envahissait tout son être, les nuages noirs et lourds, il le sentait,
l’enveloppaient et rien, ne pouvait empêcher cet orage de venir éclater en
lui. La lutte
était, il le savait pour l’avoir déjà
vécue, vaine et inutile. Il fallait
qu’il agisse dans les prochains jours, malgré les risques que cela
comportait, il fallait quitter cette retraite et se décider à passer la
frontière. Il fallait
agir vite, les jours en cette saison devenaient courts donc propices. Surtout ne
pas oublier de prendre le chemin creux à droite du chêne mort comme le lui
avait conseillé l’oncle Alfred ; s’habiller chaudement, les petits
matins et les soirées sont glacials en cette saison, ne pas se charger de
choses inutiles. Une bonne
grosse tranche de pain et une tranche de lard, une gourde d’eau ;
surtout pas d’alcool. Cela donne parfois l’illusion de courage mais cela
trouble bien souvent les esprits les plus forts. Et, comme il
ne fallait pas dresser de liste, il fallait garder la mémoire aussi claire
que l’eau de la source du Père Clément. Ne pas non plus oublier de prendre
l’argent tout en pièces, bien serré dans la ceinture de flanelle. Il se couche
tôt bien qu’il savait que le sommeil ne lui rendrait pas visite. Mais
qu’importe, il aurait bien le temps de dormir à son retour, le cerveau et
l’âme bien pourvus. Bien avant
que le jour ne pointe le bout de son museau, au sommet de le crête dite
« du bois joli », il était prêt. Partir. Ne
plus penser qu’à une chose. Marcher bon pas et ne pas douter. Mais, bien
sûr qu’elle serait là, elle était toujours là en cette saison, et bien
achalandée. Justin Les
Boulardes y était allé le 15 du mois d’août et en était revenu le cœur bien
soulagé. Il marcha bon
train comme dans un rêve humide de rosée et de senteurs de jeunesse. Le chêne
mort se dressa bien vite devant lui, ne pas faire d’erreurs : à droite
le chemin creux. « Le
plus dur et le plus dangereux est derrière notre cul » comme l’aurait
dit l’oncle Alfred ! Encore deux
bonnes heures, si tout se passait sans encombre, et le bourg, à le découvrir dans le jour naissant, à le
découvrir, lui mouillerait les yeux de plaisir. Les premiers
toits annonçant la fin du voyage lui apparurent soudain, le surprenant alors
qu’il était en train de réfléchir à ce qu’il allait pouvoir se procurer pour
nourrir ses angoisses. Surtout ne
pas perdre de temps. Ne pas à
l’auberge entrer. La frontière était
passée comme si elle n’avait jamais vécu. Comme si elle n’avait, comme à
l’époque de son enfance, jamais existée. A l’entrée du
bourg, déjà les premières maisons semblaient sortir de la nuit. Quelques
lumières scintillaient deci delà, à travers quelques fenêtres et l’air
portait une bonne odeur de café. Trouver sa
maison… Avait-elle
toujours commerce place du marché ? Mais au fait, la place du nouveau
marché, où était-elle ? A vieillir,
les choses changent parfois de place. Dans le monde rien ne vit attaché sauf
peut-être les souvenirs. Comment le
savoir à cette heure matinale ? Les rues étaient désertes. Le mieux,
malgré que cette idée lui apparut comme un danger, le mieux serait peut-être
de se renseigner à l’auberge. C’est encore, lui sembla t-il finalement, à
condition d’être raisonnable, ce qui lui ferait perdre le moins de temps. L’auberge,
justement elle était là, à droite, juste après la place de l’église. Après un
court instant d’hésitation, il poussa la porte. Il constata être seul, et le
perçut avec bonheur, « cela sera plus facile et plus rapide » pensa
t-il. Il fut
surpris par la venue du patron, il lui sembla que celui-ci était apparu de
derrière son comptoir comme un diable sortant de sa boite ! Gros, l’air
jovial, certainement grande gueule mais à parier « cœur pas
méchant ». « -
Bonjour l’ami, je vous sers quoi à c’te heure ? - Ben…
J’prendrais bien une bolée de café bien chaud. - Vous avez
l’air pour sûr d’en avoir bien besoin et une bonne goutte j’espère, je viens
justement d’en recevoir, et de la bonne. C’est de celle qui fait les
hommes. » Et tout en le
servant : « - Mais
dîtes moi l’ami que faîtes vous si matin par chez nous ? Je ne vous
remets pas, vous n’êtes pas du bourg me semble t-il ? - Non, non je
viens d’ailleurs. - Ha !
Oui, je vois, parlez sans crainte, ici vous êtes comme si vous étiez comme
vous dîtes « ailleurs ». - Merci,
justement je cherche comment vous dire, la Marchande… La marchande, vous
savez ? - Mais oui,
mais oui, la marchande de mots, c’est bien ça ? Je l’ai deviné rien qu’à |